Pour que le harcèlement moral soit retenu, le législateur exige que le salarié ait subi des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail (article L.1152-1 du code du travail). Aussi, un fait unique commis par l’employeur, même très grave (par exemple une violente agression verbale sur le lieu de travail ou des propos vexatoires tenus une seule fois par un supérieur hiérarchique), même s’il a eu des répercussions sur l’état de santé du salarié, ne pourra pas, faute de répétition, être qualifié de harcèlement. Le salarié pourra éventuellement demander réparation de son préjudice mais sur un autre fondement juridique (violence psychologique, injures…).
Dès lors, la question se pose de savoir si des agissements répétés subis par un salarié sur une très courte période de temps (quelques semaines, voire quelques jours à peine) peuvent être qualifiés de harcèlement moral.
La Chambre sociale de la Cour de Cassation le confirme dans un arrêt du 3 avril 2013 (n°11-27054) non publié au bulletin civil.
Dans cette affaire, une salariée ayant 7 ans d’ancienneté, a été placée en arrêt maladie à deux reprises entre le mois de novembre et le mois de décembre 2007. Elle est déclarée inapte à tout poste dans l’entreprise par le médecin du travail le 10 janvier 2008. Le même jour, elle a écrit à son employeur auquel elle a indiqué que c’est le harcèlement moral qu’elle a subi qui est à l’origine de la dégradation de son état de santé (donc de son inaptitude). Le 17 avril 2008, elle a été licenciée pour inaptitude sans possibilité de reclassement.
La salariée a donc saisi le conseil de prud’hommes pour faire reconnaître le harcèlement moral dont elle a été victime, constater la nullité de son licenciement et obtenir réparation des préjudices qu’elle estimait avoir subis.
Le 27 septembre 2011, la Chambre sociale de la Cour d’appel de Paris a caractérisé l’existence d’un harcèlement moral et lui a alloué 4.000 euros de dommages et intérêts à ce titre ; a prononcé la nullité du licenciement (considérant que l’inaptitude physique était concomitante à ce harcèlement) et lui a octroyé 60.000 euros de dommages et intérêts de ce chef. Elle a aussi condamné l’employeur à rembourser à Pôle Emploi les allocations de chômage perçues par la salariée dans la limite de six mois, ceci sur le fondement de l’article L.1235-4 du code du travail.
Pour retenir l’existence du harcèlement, la Cour d’appel a retenu que certains des agissements commis par l’employeur ont eu lieu pendant le premier arrêt maladie de novembre 2007 qui n’avait duré que quatre jours (notamment une demande insistante de réalisation d’un travail en urgence formulée bien que la salariée était en arrêt de travail). Elle a également conclu à l’existence du harcèlement moral au regard d’un contexte de mal-être au travail d’autres salariés dans lequel s’inscrivaient les faits dénoncés par la salariée.
La « société-employeur » s’est pourvue en cassation faisant notamment valoir que, pour retenir l’existence d’un harcèlement moral, la cour d’appel s’était fondée sur une série d’instructions formulées sur une période de moins de 15 jours alors que la salariée comptait plus de sept années d’ancienneté ; n’avait pas caractérisé l’existence d’agissements répétés et avait donc, ce faisant, violé l’article L.1152-1 du code du travail).
Ce moyen est rejeté, de manière lapidaire, par la Chambre sociale de la Cour de Cassation qui rappelle que les faits constitutifs de harcèlement moral peuvent se dérouler sur une brève période.
Elle avait déjà eu l’occasion d’indiquer (de façon moins directe) que la reconnaissance du harcèlement moral n’obéit à aucune condition de durée minimale. En effet, si la loi indique que le harcèlement moral est caractérisé par des agissements répétés, elle n’exige pas que cette répétition s’inscrive sur une durée significative. Une Cour d’appel qui avait jugé qu’il ne pouvait pas y avoir harcèlement moral lorsque les faits reprochés par le salarié étaient intervenus sur une brève période, a vu son arrêt cassé car il ajoutait à la loi une condition de durée qui n’y figure pas (Cass. Soc. 26 mai 2010 n° 08-43152)
Ainsi, l’existence d’un harcèlement moral peut être reconnue même si les agissements dégradant les conditions de travail se produisent sur un laps de temps relativement court (quelques semaines, voire même quelques jours).
Cette solution est conforme à l’article L.1152-1 du code du travail qui n’exige aucune condition de durée minimale pour caractériser le harcèlement moral.
Cependant, en règle générale, le harceleur agit de manière plus progressive et le salarié n’a pas immédiatement conscience de ce qu’il subit. Il lui faut parfois plusieurs mois pour comprendre ce qui lui arrive et plus encore, s’il y parvient, pour le dénoncer.
En dernier lieu, l’arrêt du 3 avril 2013 rappelle que lorsque la nullité du licenciement est constatée comme dans le cas d’espèce (l’inaptitude étant, selon la cour d’appel, en lien direct avec le harcèlement moral subi par la salariée), l’employeur peut être condamné à des dommages et intérêts au titre du licenciement nul (qui réparent notamment les conséquences pécuniaires et professionnelles de la perte d’emploi) mais qu’il ne peut, en sus, être condamné à rembourser à Pôle emploi les allocations de retour à l’emploi que le salarié a perçues.
Cette dernière solution est conforme à l’article L.1235-4 du code du travail qui réserve cette sanction au cas où le licenciement est jugé comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse.