Le 21 novembre, la Chambre sociale de la Cour de cassation a prononcé une décision importante (2) en matière de prise d’acte de la rupture du contrat de travail. Un cadre-dirigeant de banque avait pris un nouvel emploi dans une autre banque très peu de temps après avoir rompu le contrat qui le liait à la BNP Personnal Finance depuis plus de 10 ans.
L’employeur soutenait que le véritable motif de la prise d’acte était que le salarié avait accepté, avant cette prise d’acte, de prendre la direction d’une autre société au Brésil, la Banque Safra, ainsi qu’en attestait le fait qu’il ait pris ses nouvelles fonctions au sein de cette banque un mois après la prise d’acte. La haute juridiction a confirmé l’arrêt d’appel qui lui avait été déféré et rappelé que le fait que le salarié a trouvé un nouvel emploi presque aussitôt après avoir pris acte de son contrat de travail est sans incidence sur la légitimité de cette décision.
On sait qu’un salarié qui a des griefs sérieux à faire valoir à l’encontre de son employeur a la possibilité de prendre acte de la rupture de son contrat de travail. Ce mode alternatif de rupture du contrat de travail, consacré par la jurisprudence, est particulier en ce que la partie qui prend l’initiative de la rupture du contrat de travail (le salarié) impute la responsabilité de cette rupture à son employeur (on a parlé pendant une certaine période d’autolicenciement).
La jurisprudence a précisé les règles applicables à la prise d’acte et, selon que les juges décident qu’elle est légitime ou pas, une prise d’acte emporte les conséquences d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (allocation au salarié de toutes les indemnités de rupture – indemnité de licenciement, préavis et congés payés sur préavis) ou d’une démission, voire d’une démission abusive (le salarié pouvant alors être condamné à payer à l’employeur des dommages et intérêts d’un montant égal aux salaires qu’il aurait perçu durant son préavis).
Une autre particularité de la prise d’acte est qu’elle est toujours annonciatrice d’un contentieux prud’homal. Dans l’immense majorité des cas à l’initiative du salarié pour faire condamner l’employeur à lui payer les indemnités de rupture et bénéficier rétroactivement des indemnités de chômage. Dans quelques cas, ce sont les employeurs qui attaquent pour faire juger que la prise d’acte doit emporter les conséquences d’une démission abusive et demander des dommages et intérêts au salarié.
Dans ces procédures, le rôle probatoire du salarié consiste donc à établir la réalité des griefs évoqués contre l’employeur. À l’inverse, pour éviter une condamnation pouvant s’avérer lourde si le salarié est un cadre dirigeant avec un bon salaire et une ancienneté significative, les employeurs minimisent l’importance des griefs qui leur sont opposés et, bien souvent, recherchaient si leur ancien salarié avait retrouvé un emploi rapidement après avoir pris acte de la rupture. Lorsque tel était le cas, ils faisaient plaider que la prise d’acte n’était pas légitime, car elle procédait d’une stratégie du salarié dont les griefs à son encontre n’étaient évoqués qu’afin de quitter l’entreprise « avec un chèque » (c’est-à-dire en faisant condamner l’employeur) alors qu’il avait déjà retrouvé un nouvel emploi.
Jusqu’à présent, force est de constater que les conseils de prud’hommes étaient fréquemment sensibles à ce type de raisonnement et déboutaient les cadres demandeurs en retenant cet argumentaire. C’est précisément ce qui s’était passé dans le cas d’espèce, puisque le conseil de prud’hommes avait débouté le salarié de toutes ses demandes en considérant qu’il avait pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de la BNP par lettre du 8 janvier 2007 et intégré un nouveau poste dans une autre banque le 9 février 2007.
De telles décisions, ne s’appuyant pas sur les griefs évoqués par le salarié lorsqu’il prend acte de la rupture du contrat de travail, mais sur le fait que son préjudice est atténué par le fait qu’il retrouve un emploi rapidement, n’étaient pas satisfaisantes, car elles ne posaient pas la seule question utile en matière de prise d’acte de la rupture du contrat de travail ; est-ce le comportement fautif de l’employeur qui a conduit le salarié à rechercher du travail ailleurs ?
C’est très opportunément la question que s’est posé la cour d’appel de Paris en l’espèce en considérant qu’elle n’avait pas à s’intéresser à ce qu’il était advenu du salarié après qu’il a pris acte de la rupture de son contrat de travail, la proximité (un mois) entre la prise d’acte de la rupture et le recrutement du salarié dans une banque concurrente n’étant pas une circonstance privant la prise d’acte de légitimité.
La dernière branche du premier moyen de cassation reprochait donc à la Cour d’appel d’avoir statué en ce sens « sans vérifier ni rechercher comme il lui était demandé si le véritable motif de la prise d’acte n’était pas le fait que le salarié avait accepté, avant cette prise d’acte, de prendre la direction d’une autre société au Brésil, la Banque Safra, ainsi qu’en attestait le fait qu’il ait pris ses nouvelles fonctions au sein de cette banque dès le 9 février 2007 en qualité de superintendant exécutif ».
En répondant expressément que la Cour d’appel n’avait pas à s’intéresser à la date à laquelle le salarié avait retrouvé un emploi, la chambre sociale de la Cour de cassation confirme le bien-fondé de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris et pose clairement que la légitimité d’une prise d’acte ne s’apprécie qu’au regard des faits évoqués par le salarié (nécessairement antérieurs à sa décision de prendre acte de la rupture) et pas au regard de l’emploi qu’il a été conduit à rechercher et qu’il a pu accepter (fut-ce avant qu’il prenne acte) du fait des agissements reprochés à son employeur. Nous ne pouvons qu’approuver cette décision.