Février 2022, me fait franchir sereinement le cap des 65 ans et des 34 ans de carrière. Ce sont les seules excuses que je me trouve pour faire ce point d’étape et me permettre de jouer « à l’ancien ».
En 1986, alors que j’étais assistant à la fac d’Aix en Provence, j’ai commencé à travailler dans un cabinet d’avocats à Marseille deux ans avant de prêter serment. Là j’ai vu mon premier télex et amené au cabinet un ordinateur personnel (PC) dont l’écran prenait la moitié de la place sur le bureau.
Je suis ensuite « monté » à Paris et devenu collaborateur dans un cabinet d’affaires où nous étions une trentaine d’avocats. Là j’ai cherché des numéros de téléphone et levé des Kbis avec un minitel, vu arriver « mon » premier fax sur du papier thermique. Aujourd’hui les fax ont disparus et les progrès ont été fabuleux, les portables ont précédé les tablettes, les tablettes tactiles transforment maintenant nos écritures manuscrites en texte imprimable et transformable et l’on fait des visio-conférences de tous les coins du monde…
A 65 ans je suis toujours aussi fan de l’évolution technique et technologique et impatient de découvrir ce que l’avenir nous réserve.
Pour ce qui est du métier, même si ne peux que constater tout est fait pour dissuader nos clients de faire valoir leurs droits en justice, je le trouve aussi passionnant qu’à mes débuts.
Mon cabinet a fait une grande partie de la jurisprudence sur le thème du harcèlement moral. Quand je plaidais cette notion en 1996 ou 1997, bien avant qu’elle soit consacrée par la loi, quelques uns des « meilleurs » travaillistes installés se foutaient de ma poire en disant que je n’étais pas avocat mais psychologue.
Les avocats du cabinet sont à l’origine du premier arrêt de cassation posant l’obligation de sécurité de résultat, du premier arrêt de cassation qui dit que le harceleur engage sa responsabilité civile personnelle à côté de celle de l’employeur…. Nous avons donc la satisfaction, grâce à notre travail, d’avoir contribué à l’évolution du droit social au cours des 30 dernières années, d’avoir fait une partie non négligeable du boulot.
D’autres combats pour la défense de nos idées et de nos idéaux sont en cours, amélioration du fonctionnement des juridictions du travail, amélioration du droit de la preuve, prise en compte des enregistrements dans les procédures civiles, droits des dirigeants devant les juridictions prud’homales (la quasi-totalité des dossiers sont perdus en première instance) respect des droits des expatriés (même constat) mais aussi, lutte contre les discriminations de toutes natures, prise en compte de ce que les clauses de non-concurrence emportent des effets avant la rupture du contrat de travail en ce qu’elles empêchent les salariés de rejoindre une entreprise dans laquelle leur situation serait meilleure…
Est-ce que la Cour de cassation et l’avenir nous donneront raison ??? Nous verrons bien.
Il me reste encore quelques années (5, 6, plus ? mais sans doute moins de 10) pour le savoir avant de passer la main aux plus jeunes.
Pendant ce peu de temps, comptez sur moi pour continuer à rester droit dans mes bottes et affirmer mes convictions de « travailliste » au sens premier du terme c’est-à-dire d’avocat défendant des salariés.
Je souhaiterais devenir à l’avocature ce que Carlos Sainz (père) et Sébastien Loeb sont au sport automobile ou Johan Clarey au ski ; un « vieux » qui gagne encore des combats et « assure » comme les jeunes.
L’âge n’a d’ailleurs pas que des inconvénients, il permet de dire très directement, sans redouter une seconde, l’incident qui pourrait s’ensuive, ce que l’on pense aux Présidents d’audience qui vous disent en vous regardant droit dans les yeux « moi vous savez maître, la jurisprudence de la Cour de cassation…». Pauvres pommes, que faites-vous là ? Vous méprisez votre mission et la juridiction auprès de laquelle vous vous êtes fait élire.
Pour ce qui est des relations entre confrères, et contrairement à ce que je peux lire sur les groupes d’avocats dont je suis membre, je ne trouve pas qu’elles sont pires qu’avant. Certes, il y a trente ans, tous les praticiens du droit social se tutoyaient et je trouvais ça bien. Cet usage a disparu et, comme les autres, nous nous appelons : « Mon cher Confrère » (ne me demandez pas pourquoi on met une majuscule à Confrère, je ne l’ai jamais compris).
Il y a dans notre profession beaucoup de gens normaux (si cela existe) pas mal de gens fantastiques de compétence et de gentillesse (j’en ai rencontré tout au long de ma carrière) et un petit nombre de malfaisants qui arrivent à nous gâcher la vie de façon inversement proportionnelle à leur nombre.
Aux premiers je souhaite de garder le goût du métier comme j’ai la chance de le garder, aux deuxièmes je ne dirais jamais assez merci à la vie de m’avoir permis de vous croiser. Vous vous reconnaîtrez en lisant ces lignes. Enfin aux derniers, aux sans déontologie, je souhaite de croiser pire qu’eux-mêmes pour qu’ils puissent goûter et se délecter du goût de la médiocrité.
Pour ne pas conclure sur cette phrase, je dirais ; vive le droit social qui, par essence, est celui qui permet le mieux de lutter contre les inégalités.