Par un arrêt du 6 février 2013, la Cour de cassation autorise, de manière claire, le cumul de l’indemnité de licenciement et de l’indemnité pour travail dissimulé.*
Dans cette affaire, le salarié n’avait pas le statut cadre. Cependant, dans le contexte actuel où les cadres sont de plus en plus nombreux à contester la validité des rémunérations forfaitaires qui leur sont imposées et à réclamer le paiement d’heures supplémentaires, cette jurisprudence est susceptible d’avoir une incidence importante sur le montant des indemnités pouvant être réclamées.
Dans le cas d’espèce, le salarié, qui avait été licencié verbalement, avant que l’employeur ne mette en place une procédure de licenciement pour faute grave, a obtenu de la Cour d’appel qu’elle juge que le licenciement verbal avait consommé la rupture du contrat de travail dans des conditions le privant de cause réelle et sérieuse.
La Cour avait donc condamné l’employeur au paiement cumulatif :
- d’heures supplémentaires pour la période 2007 à 2009 ;
- de l’indemnité forfaitaire de six mois de salaire, qui sanctionne la dissimulation d’emploi salarié par dissimulation d’heures travaillées (article L. 8223-1 du code du travail) ;
- de l’indemnité conventionnelle de licenciement ;
- de l’indemnité compensatrice de préavis ;
- de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Devant la Cour de cassation l’employeur reprochait toutes les condamnations prononcées. Nous n’insisterons cependant que sur un seul de ses moyens de cassation (celui qui fait la spécificité de cette jurisprudence) celui qui tentait de faire annuler sa condamnation à payer cumulativement l’indemnité conventionnelle de licenciement (le licenciement verbal ayant été retenu et jugé sans cause réelle et sérieuse) et une indemnité pour travail dissimulé. Il soutenait que les dispositions de l’article L. 8223-1 du code du travail ne faisaient pas obstacle au cumul de l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé avec les indemnités de toute nature auxquelles le salarié à droit en cas de rupture de la relation de travail, à la seule exception de l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement.
Selon lui, la Cour d’appel avait violé le code du travail en allouant au salarié deux indemnités non cumulables, seule la plus élevée des deux devant être allouée au salarié suite à la rupture de son contrat de travail.
Cet argumentaire semblait devoir emporter la conviction des juges car il s’inspirait directement d’une jurisprudence relativement récente de la Chambre sociale de la Cour de cassation qui avait posé le principe du non-cumul (décision du 12 janvier 2006 qui avait été qualifié d’arrêt de principe). La cassation semblait d’autant plus évidente que la Chambre sociale avait renouvelé sa position sur le non cumul de ces deux indemnités dans un arrêt du 12 janvier 2012 (n°10-23362).
Ce n’est pourtant pas ce qui est advenu.
La Cour de cassation a en effet considéré que le cumul de l’indemnité de l’article L.8223-1 du code du travail avec l’indemnité légale ou l’indemnité conventionnelle de licenciement devait désormais être admis au motif que « selon l’article L. 8223-1 du code du travail, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l’article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus par l’article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire ; qu’au regard de la nature de sanction civile de cette indemnité, ces dispositions ne font pas obstacle au cumul de l’indemnité forfaitaire qu’elles prévoient avec les indemnités de toute nature auxquelles le salarié a droit en cas de rupture de la relation de travail.
Ainsi, l’indemnité de l’article L. 8223-1 du code du travail a, pour la chambre sociale de la Cour de cassation, la nature d’une sanction civile (ce qui est une position contraire à celle adoptée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 25 mars 2011 n°2011-111 QPC). Elle sanctionne donc pécuniairement la violation de la règle de droit que commet l’employeur lorsque, intentionnellement, il n’a pas, par exemple, porté sur les bulletins de salaire l’intégralité des heures travaillées par le salarié ; n’a pas établi la déclaration préalable à l’embauche ou n’a pas remis de bulletins de salaire.
L’arrêt du 6 février 2013 constitue donc un revirement de jurisprudence, raison pour laquelle il sera publié au bulletin des arrêts de la Cour.
Nous ne pouvons que nous en féliciter dès lors que, d’une part, la nouvelle position adoptée par la Cour de cassation s’explique certainement par une volonté accrue de sanctionner les employeurs qui ont recours au travail dissimulé (qui est aussi un délit sanctionné pénalement).
D’autre part, l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé est due au salarié quelle que soit la qualification juridique de la rupture de la relation de travail (démission, prise d’acte, licenciement, départ ou mise à la retraite etc). Or, la Cour de cassation avait déjà jugé qu’elle pouvait se cumuler avec l’indemnité pour violation de l’ordre des licenciements, l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’indemnité compensatrice de préavis, l’indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement ; l’indemnité de fin de contrat en cas de contrat à durée déterminée et l’indemnité de requalification d’un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée.
Nous illustrons notre propos sur les conséquences pratiques de cet arrêt par un exemple concret : la personne licenciée pour faute grave ou qui prend acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l’employeur, pourra, si elle est en mesure d’établir le refus de son employeur de lui payer les heures supplémentaires accomplies ou le fait qu’elles ne sont pas toutes mentionnées sur ses bulletins de salaire, demander devant le conseil de prud’hommes, si elle conteste également le bien fondé de son licenciement, à la fois le paiement des heures supplémentaires, celui des indemnités de rupture (y compris donc désormais l’indemnité de licenciement) mais aussi une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et une indemnité pour travail dissimulé. Espérons que la seule menace de se voir condamné lourdement aura un effet dissuasif suffisant pour dissuader certains employeurs de ne pas rémunérer toutes les heures de travail.