Les avocats pratiquant la défense des expatriés au quotidien constatent que les principales difficultés évoquées par les expatriés reviennent de façon récurrente. Cette récurrence vient peut-être de ce que l’expatriation est trop souvent gérée par un département compensation & Benefits dont les préoccupations procèdent plus des économies à réaliser que de la gestion des carrières.
Les difficultés observées procèdent principalement : de la rédaction de certaines des clauses du contrat d’expatriation, de la mise en œuvre défectueuse des obligations de rapatriement et de réemploi ou encore de l’absence d’information donnée aux expatriés sur l’étendue de leur assurance sociale et au titre de la retraite durant l’expatriation.
I – LES CLAUSES DANGEREUSES DU CONTRAT D’EXPATRIATION
A) LA CLAUSE DE MOBILITÉ
La clause de mobilité est celle par laquelle l’entreprise s’assure que la personne qu’elle expatrie acceptera une affectation différente à l’issue d’une mission.
Si cette clause peut sembler anodine lorsqu’on signe un premier contrat d’expatriation en étant célibataire ou jeune marié sans enfants, la perception de ses conséquences évolue fortement lorsque l’expatrié se marie localement, que son conjoint bénéficie d’un emploi dans le pays d’expatriation ou que ses enfants sont scolarisés dans des écoles dont les enseignements sont prodigués selon un calendrier qui n’est pas compatible avec celui de la nouvelle affectation proposée…
Toutes ces situations sont, au mieux, génératrices de tensions passagères mais fréquemment de contentieux.
On sait que la jurisprudence a posé les conditions de validité d’une clause de mobilité. Elle doit, à peine de nullité, être suffisamment précise quant à l’étendue de sa zone géographique et ne peut conférer à l’employeur le pouvoir d’en étendre unilatéralement la portée1.
En présence d’une clause valable, ce ne sera que dans les cas où l’employeur la mettra en œuvre dans des conditions abusives ou discriminatoires qu’il pourra être condamné au paiement de dommages et intérêts. Il en a été ainsi après qu’une société eut rapatrié le dirigeant d’une filiale sans tenir aucun compte de ses contingences familiales et personnelles (après la rentrée des classes, alors qu’il était père d’enfants dont le cycle de scolarité décalé n’avait déjà pu être achevé, en l’affectant à 900 kilomètres de son domicile…)2 ou lorsque la clause a été mise en œuvre aussitôt après le retour d’un congé de maternité.
B) LES OBLIGATIONS DE RAPATRIEMENT ET DE RÉEMPLOI
1. L’obligation de rapatriement
Le rapatriement ne devrait pas poser de problème car il est légalement prévu par l’article L. 1231-5 du code du travail3 lorsque l’expatrié est mis à la disposition d’une filiale étrangère par la société mère du groupe.
Le code du travail (article R. 1221-34) prévoit également qu’en cas d’expatriation d’une durée supérieure à un mois (autant dire dans tous les cas) le document remis par l’employeur au salarié, doit mentionner les conditions du rapatriement.
En pratique on trouve donc presque toujours une clause de rapatriement mais cela ne veut pas dire que le rapatriement intervient facilement. En effet, lorsque la mission est interrompue prématurément ou soudainement, la mise en œuvre du rapatriement est souvent complexifiée par de multiples contingences (scolarité des enfants, travail du conjoint dans le pays d’accueil, impossibilité de quitter le pays sans avoir effectué les formalités requises par les administrations locales (quitus fiscal par exemple)….
2. L’obligation de réemploi
Il s’agit de l’obligation qui provoque le plus grand nombre de contentieux.
D’une part, parce que certaines expatriations n’interviennent pas par mise à disposition par la maison mère mais par une autre société du groupe. Dans ce cas, et sauf à prouver que la maison mère agissait en tant que co-employeur de la filiale concernée, l’obligation de réemploi ne s’applique pas4.
D’autre part, car ce texte prévoit que l’emploi proposé au salarié doit être « compatible avec l’importance de ses précédentes fonctions au sein de la maison mère ». Cette rédaction a conduit certains groupes internationaux à faire plaider qu’ils ne sont pas tenus au respect de l’obligation lorsque le salarié n’a jamais exercé de fonctions au sein de la société mère. La cour de Cassation a cependant répondu que ce fait « ne dispense pas l’employeur (…) de reclasser le salarié dans un autre emploi en rapport avec ses compétences »5.
Même lorsque le principe de l’obligation n’est pas contesté, le contentieux n’est pas rare car trop peu de Groupes s’astreignent à mettre en place une véritable Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences (GPEC) des expatriés. Il en résulte que, même lorsque la convention collective applicable précise que les salariés envoyés à l’étranger doivent à leur retour être affectés à des emplois aussi compatibles que possible avec l’importance de leurs fonctions antérieures à leur rapatriement6, les expatriés se voient trop souvent proposer des solutions de reclassement ne tenant aucun compte des compétences acquises durant l’expatriation.
Il s’agit donc de propositions formulées non pour être acceptées mais pour préparer le terrain d’un licenciement qui est déjà décidé, ce qui n’est pas acceptable.
II – LES MAUVAISES SURPRISES LORS DES ACCIDENTS DE SANTÉ OU DE LA LIQUIDATION DES DROITS À LA RETRAITE
Autre sujet récurrent de contentieux, certains expatriés se rendent compte au moment d’un accident de santé ou de la liquidation de leur retraite que leur employeur a continué à les traiter comme s’ils étaient détachés (au lieu d’expatriés) ou qu’il n’a pas cotisé sur les bonnes bases aux régimes complémentaires de retraite.
Les préjudices résultant de ces situations sont particulièrement importants.
Dans le premier cas, lorsque l’employeur n’a pas informé un salarié détaché de l’expiration de la période de détachement et de la nécessité de s’affilier au régime de la CFE, le salarié peut se voir privé d’assurance santé alors qu’il doit se faire prodiguer des soins pouvant s’avérer très coûteux. Plus grave encore, il peut se voir privé du bénéfice de la prévoyance à laquelle il aurait pu prétendre si l’employeur avait correctement rempli son rôle.
Pour ce qui est des « erreurs » sur la base des cotisations payées aux organismes de retraite complémentaire, elles ont un impact « à vie » sur le montant de la pension de retraite. Cet impact peut même perdurer lorsqu’un conjoint survivant peut prétendre à la réversion d’une part de cette retraite.
Il est donc impératif, lorsqu’une entreprise procède à une expatriation, qu’elle soit extrêmement transparente sur les conditions dans lesquelles les expatriés sont couverts non seulement au titre des assurances sociales (maladie, maternité) mais également au titre de la retraite.
Plusieurs décisions de jurisprudence7 montrent que les juridictions n’hésitent pas à condamner les employeurs qui se montrent négligents ou profitent de stipulations contractuelles floues.
1. Cass. soc. 9 novembre 2011, n°10-10320
2. Soc 1er février 2011, n°09-40121
3. « Lorsqu’un salarié engagé par une société mère a été mis à la disposition d’une filiale étrangère et qu’un contrat de travail a été conclu avec cette dernière, la société mère assure son rapatriement en cas de licenciement par la filiale et lui procure un nouvel emploi compatible avec l’importance de ses précédentes fonctions en son sein… »
4. Pour une application stricte de ce principe : Cass. Soc. 10 février 2010, n° 08-42.860
5. Cass. Soc. 7 décembre 2011 n° : 09-67367, publié
6. Cass. Soc. 7 mars 2007, n° 05-45680
7. Cass. Soc. 10 février 2010 n° 08-42860, et Cass. Soc. 28 mars 2012 n° 10-27011