C’est un euphémisme de dire que, parfois, les séparations entre entreprises et dirigeants peuvent s’avérer complexes à gérer. Si, fort heureusement, quelques-unes se passent bien, elles sont loin d’être majoritaires. En revanche, celles qui aboutissent à un accord indemnitaire, à court ou moyen terme, constituent la règle.
La décision commentée montre encore que, dans certains cas, un contentieux judiciaire entre entreprise et dirigeant peut se poursuivre pendant près de dix ans.
Une rupture conflictuelle
Après l’avoir révoqué au mois de mai 2005, une société a assigné son ancien Directeur Général devant le Tribunal de Commerce pour obtenir (entre autres choses) le remboursement d’un peu plus de 11.000 € de dépenses non justifiées engagées avec la carte bancaire mise à sa disposition par l’entreprise.
Le dirigeant s’est défendu en exposant que la société ne prouvait pas le caractère excessif ou non professionnel des dépenses engagées.
Evoquant la règle de droit selon laquelle celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver (article 1315 du code civil), l’ancien Directeur Général soutenait avoir remis les justificatifs des dépenses à la société avant de quitter ses fonctions et indiquait que c’était à la société de prouver qu’il s’était servi de la carte de la société de manière fautive c’est-à-dire, soit de manière professionnelle mais excessive, soit à des fins personnelles. Il ajoutait que le défaut de production des facturettes et l’absence d’explications de sa part ne caractérisaient pas le caractère irrégulier des dépenses engagées ni en quoi, compte tenu de ses fonctions et de ses besoins, des dépenses de l’ordre de 11.000 € sur une période de neuf mois auraient été excessives.
La cour d’appel rejette la demande de la société.
Le 26 octobre 2011 (alors que la procédure dure déjà depuis 6 ans), la Cour d’appel de Toulouse a fait droit à l’argumentaire du dirigeant et rejeté la demande de la société en retenant que c’était à elle d’établir le caractère irrégulier des dépenses, c’est-à-dire de prouver que l’ancien Directeur Général s’était servi de la carte mise à sa disposition de façon fautive.
La Cour d’appel a également jugé que le défaut de production des facturettes et l’absence d’explications de la part de l’ancien Directeur Général n’établissaient pas le caractère irrégulier des dépenses dont le remboursement était demandé.
Ce n’est cependant pas la fin de la procédure.
L’ancien dirigeant a dû penser qu’il avait gagné, mais la société s’est pourvue en cassation et la Chambre commerciale de la haute juridiction lui a donné raison en retenant que c’est au dirigeant social de rendre compte de sa gestion en justifiant les dépenses engagées par lui au moyen de fonds sociaux.
En conséquence, la Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel de Toulouse au motif que la cour d’appel avait inversé la charge de la preuve, en violation des dispositions de l’article 1315 du code civil.
A ce jour, huit années se sont écoulées, on ignore à quelle date la Cour de renvoi statuera à nouveau.
Quels enseignements tirer de cette décision ?
Compte tenu des délais dans lesquels les affaires sont actuellement jugées, lorsqu’elles vont en appel, il s’écoule entre quatre et six ans entre la rupture du mandat social et l’obtention d’une décision de justice. Il faut compter près de dix ans lorsque, comme en l’espèce, intervient un arrêt de cassation. Il vaut donc mieux s’éviter de risquer un procès susceptible de s’éterniser soit en faisant procéder à un contrôle de ses dépenses au fil de l’eau pendant l’exécution du mandat ou, au plus tard, juste avant le départ de l’entreprise.
Lorsque les conditions de la relation ne permettent pas de prendre ces précautions avant la rupture de la relation, la jurisprudence retenant que c’est aux dirigeants de justifier des dépenses engagées, nous ne pouvons que leur conseiller de copier l’intégralité du disque dur de leur ordinateur professionnel et de prendre copie de tous les documents probants susceptibles de leur être demandés, lorsqu’ils quittent une entreprise.
Sur un autre registre, on peut se demander, si un quitus aurait-il permis d’éviter l’action de la société ?
La réponse est négative. En effet, si le quitus donné à un dirigeant peut être utile en cas de contestation du motif de révocation (pour autant qu’un juste motif soit nécessaire), on sait qu’il ne peut faire obstacle ni à une action sociale (préjudice subi par la société) ni à une action individuelle (préjudice subi par un associé) en responsabilité.
Dans l’affaire commentée un quitus n’aurait donc pas permis au dirigeant de se soustraire à l’action engagée par la société à son encontre.