Deux arrêts récents illustrent sous un angle nouveau (celui de la durée et de l’organisation du travail) l’obligation de sécurité pesant sur les employeurs envers leurs salariés.
Une obligation générale de sécurité posée par l’article L. 4121-1 du code du travail pèse sur tout employeur
Selon cette disposition du code du travail, l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail détaillent les mesures à prendre par l’employeur pour respecter son obligation (par exemple mise en place d’actions de prévention des risques professionnels, d’information et de formation etc…).
Après avoir reçu de son salarié, qui occupait le poste de médecin du travail, des courriers dans lesquels il exprimait sa souffrance psychologique et des idées noires liées notamment à une charge de travail excessive, la société ACCENTURE avait alerté le médecin du travail sur la gravité de la situation. La cour d’appel de Paris (Pôle 6, chambre 9) en a déduit que, de ce fait, l’employeur avait respecté son obligation de sécurité.
Dans le même temps, la cour d’appel a considéré que la convention de forfait jours en vigueur dans l’entreprise était nulle faute pour l’employeur de justifier avoir pris les dispositions nécessaires de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail du salarié titulaire d’une convention de forfait en jours restent raisonnables et assurent une bonne répartition dans le temps du travail et donc à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié.
La chambre sociale de la Cour de cassation a cassé la décision de la cour d’appel de Paris en considérant que « dès lors que l’employeur ne justifie pas avoir pris les dispositions nécessaires de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail du salarié titulaire d’une convention de forfait en jours restent raisonnables et assurent une bonne répartition dans le temps du travail et donc à assurer la protection de la sécurité et de la santé de l’intéressé, ce dont il résulte que l’employeur a manqué à son obligation de sécurité, il appartient à la cour d’appel de vérifier si un préjudice en a résulté ».
Cette décision, qui fait peser sur les employeurs une obligation de vigilance sur l’amplitude et l’importance de la charge de travail confiée à un salarié aura à n’en pas douter un impact sur la mise en place des futures conventions de forfait jours. Gageons que l’on va rencontrer de moins en moins de conventions de forfait jours ayant pour principal objet de contourner les dispositions légales sur la durée du travail et l’équilibre entre vie personnelle et vie privée.
La Chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que la cour d’appel de Reims (par décision du 16 septembre 2020) ne pouvait rejeter les demandes de la salariée, chargée de clientèle particuliers dans une agence du Crédit agricole mutuel de Champagne-Bourgogne au titre d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécuritéalors que ce dernier, bien qu’averti de la dégradation des conditions de travail par le commentaire écrit porté par l’intéressée sur son entretien annuel, puis alerté d’abord par le médecin du travail, lequel, évoquant une souffrance chronique au travail, l’invitait à prendre toutes dispositions nécessaires à la poursuite de l’activité de la salariée dans des conditions préservant l’état de santé de celle-ci pour qui il préconisait un changement d’agence, puis par un délégué syndical dans un signalement effectué auprès de la direction des ressources humaines, n’a mis en place aucune action de prévention et a réagi tardivement, en décidant d’une enquête seulement après la saisine du conseil des prud’hommes aux fins de résiliation du contrat de travail en raison d’un manquement à l’obligation de sécurité.
Ainsi, l’employeur aurait dû mettre en place, en amont de toute difficulté, des actions de prévention dans l’entreprise véritablement efficaces, et prendre, sans tarder, des mesures dès qu’il avait été alerté par la salariée de la dégradation de ses conditions de travail.
En conclusion, si l’employeur ne justifie pas avoir pris, en temps utile (c’est-à-dire à titre préventif), toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, et/ou s’il tarde à réagir à des alertes, sa responsabilité sera engagée. Il pourra être condamné à indemniser les salariés victimes de la violation de son obligation, s’ils établissent leurs préjudices (préjudice moral, préjudice de santé etc…).
Susana Lopes Dos Santos